par le Professeur DAVID DA FONSECA, Pédopsychiatre – Hôpital Salvator Marseille

Conférence donnée à la Journée des dys 2016 de la région PACA le Samedi 8 octobre 2016 au Château de la Buzine

JND2016-DFD13-conf7

 

Partons d’un exemple concret :

Enfant en 6ème, en consultation pour des difficultés d’intégration scolaire.

Historique : Repéré en maternelle comme un enfant maladroit avec une anxiété importante. Les apprentissages commencent à poser des problèmes dès l’entrée au CP, surtout au niveau de l’écriture. Il est également souligné une agitation avec des troubles de la concentration + anxiété globale et perte d’estime de soi. Peu d’amis en primaire, assez isolé et sujet à des moqueries de la part de ses pairs.

Lors de la consultation, l’enfant a 11 ans. La maman est inquiète des moqueries qui se sont installées, voire de harcèlement, notamment en sport. Les professeurs le considèrent comme très arrogant. Les résultats scolaires sont moyens et effondrés en écriture où c’est catastrophique. Pas d’activité sportive extra scolaire, mais joue aux jeux vidéo. Divorce des parents, père ingénieur et mère infirmière. Enfant pris en charge en psychomotricité pendant 3 ans pour des troubles de la coordination +  neuropédiatre qui a évoqué un TDA et prescrit un traitement pendant 2 ans, sans effet véritable. Suivi également 4 ans par une psychologue pour anxiété et faible estime de soi. Plus récemment, accompagnement en ergothérapie pour problèmes d’écriture et probable dysgraphie avec DVS.

Voilà le parcours compliqué de cet enfant pour lequel chacun a émis son hypothèse.

Pendant la consultation pédopsy, constat de difficultés de reconnaissance des émotions. L’enfant a du mal à exprimer et à reconnaître ses/les émotions.

La question posée « à quoi cela sert de regarder quelqu’un dans les yeux », n’a pour lui aucun sens. Il éprouve également des difficultés à interpréter les situations sociales et le langage implicite (mauvaise compréhension de l’humour, du second degré et du mensonge). Enfant qui ne ment jamais, très (trop) honnête qui va être le seul à « rapporter » les bêtises des uns et des autres, et faire des commentaires inappropriés. Il pourra être perçu comme un enfant insolent ou impoli, d’où le côté arrogant perçu par les enseignants. Il est dans le concret et présente très peu d’imagination.

On retrouve également les difficultés attentionnelles. Impulsif, il a du mal à gérer son temps, les priorités, à organiser son travail à oublis importants. Il présente une certaine rigidité et intolérance au changement. Sa mémoire peut être extraordinaire.

D’autre part, il entend des bruits que personne n’entend, il repère les détails que personne ne voit, il a toujours été sensible au niveau du goût et de l’odorat, donc un réel intérêt pour les détails. Il rencontre des difficultés pour tout ce qui relève de l’abstraction et tout ce qui relève des capacités à synthétiser.

Au bout de ¾ d’heure de consultation, le Pr Da Fonseca pose l’hypothèse d’un trouble du spectre autistique au regard de tous les éléments cliniques repérés.

La maman est finalement plutôt rassurée, les différentes réponses obtenues jusque-là ne l’ayant jamais réellement satisfaite, car elle sentait que c’était « autre chose ».

Finalement on en est au 5ème diagnostic…

Tout le monde a raison de spécifier une problématique bien précise pour laquelle on va prescrire une prise en charge ciblée, mais tout le monde a tort dans la mesure où personne ne prend le recul nécessaire pour voir les choses de manière complètement globale.

Le syndrome d’Asperger :

Il y a de multiples facteurs étiopathogéniques pour expliquer cette pathologie, des facteurs génétiques, des facteurs environnementaux, ce qui fait que les troubles du spectre autistique (TSA) font partie des troubles neuro-développementaux.

La théorie psychanalytique évoque le fait que ce soit lié à des troubles de la relation précoce, ceci est dépassé.

En revanche quelques modèles peuvent nous permettre de mieux comprendre l’enfant.

La théorie de l’esprit, c’est l’idée qu’on est tous des lecteurs du regard des autres de manière à comprendre leurs pensées, leurs croyances, leurs intentions, leurs désirs pour donner du sens et prédire leur comportement. Chez un enfant « classique », ceci est acquis à partir de l’âge de 4 ans. Chez les enfants autistes c’est très difficile. Pour travailler sur ces points avec ces enfants, on utilise les modèles de Carole Grey, on utilise les bandes dessinées. On dessine les personnages et on imagine les différentes pensées que la personne pourrait avoir, ce que la personne dit, pense ou pourrait penser. On travaille également sur les alternatives de pensée chez l’autre pour aider le sujet à anticiper, à imaginer que l’autre peut penser différemment de lui. Les TSA croient que tout le monde pense comme eux.

Un autre modèle qui donne du sens à bon nombre de symptômes est le modèle de la cohérence centrale.

Les enfants TSA ont du mal à intégrer toutes les informations pour faire un tout, on parle de déficit de la cohérence centrale. Il y a une vision fragmentée des choses, ce qui explique pourquoi les émotions sont si difficiles à comprendre. Une émotion est très rapide, furtive et très subtile. S’il faut traiter tous les éléments, c’est beaucoup plus compliqué.

La technique du mind-mapping est également aidante, puisqu’on va y organiser les informations et en faire un tout.

L’hyper fonctionnement perceptif est un autre modèle qui explique pourquoi ils subissent cette hyper sensibilité sur toutes les voies sensorielles. Au niveau des traitements de bas niveaux de tous ces stimuli de base, cet hyper fonctionnement perceptif est validé par toutes les études en IRM fonctionnelle.

Ensuite nous trouvons les fonctions exécutives, c’est-à-dire tout ce qui nous permet de nous organiser, de planifier une tâche, d’inhiber. Cela permet d’avoir un esprit flexible, un but bien défini et cela explique, en cas de dysfonctionnement des dites fonctions, un bon nombre de problématiques.

Les TSA ont beaucoup plus de difficultés au niveau de la planification et de la flexibilité mentale, ce qui explique les intérêts restreints, l’intolérance au changement, les routines, le besoin d’immuabilité.

L’intérêt de ces modèles est de proposer des prises en charge adaptées pour aider ces enfants au niveau des déficiences repérées, et travailler sur les stratégies d’organisation de l’environnement, organisation au niveau spatial, au niveau temporel, au niveau visuel etc…

L’idée est toujours de s’appuyer sur les forces de ces enfants : la mémoire visuelle, leur honnêteté, la capacité à suivre les modèles à la lettre.

Tous ces modèles sont vraiment complémentaires pour expliquer les différents symptômes et pour proposer des prises en charge spécifiques et adaptées.

Pour le syndrome d’Asperger, finalement, on retrouve les mêmes théories que pour la question des dys : c’est un problème de connectivité. Ce n’est pas une zone cérébrale qui dysfonctionne, c’est un problème de connexion entre les différentes régions.

Avec ce 5ème diagnostic, on propose finalement à cet enfant un groupe d’habileté sociale. Il s’agit de groupes où l’on travaille toutes ces dimensions (les émotions, la gestion du stress, comment se présenter, comment ne pas couper la parole, qu’est-ce que l’amitié, qu’est-ce que l’amour, qu’est-ce qu’une connaissance, la sexualité, le mensonge, la violence, faire un compliment etc…), tout ce qui concerne la relation à l’autre.

On peut relever que bon nombre d’enfants avec TSA qui viennent consulter pour des difficultés sociales, ont un suivi depuis de nombreuses années pour une dyspraxie.

Il ne s’agit pas alors de ne pas prendre en compte la dyspraxie car elle est réelle, idem pour la dysorthographie ou la dyslexie si c’est le cas, mais on n’a omis la question des interactions sociales. Ces enfants viennent consulter car ils éprouvent une grande souffrance aussi dans ces moments de vie scolaire.

Pourquoi trouvons-nous autant de comorbidité entre les TSA et les troubles moteurs?

Lorsqu’on regarde la classification, il n’y a aucun critère en lien avec la motricité car cela ne fait pas partie des critères diagnostiques pour le TSA, or c’est pourtant très présent.

Lorsque l’on observe des enfants accueillis très jeunes en consultation, on remarque des particularités au niveau de la coordination motrice très précoce, avec des mouvements asymétriques entre 14 et 24 mois. Certaines séries montrent entre 63 et 68% d’enfants concernés parmi les autistes. La gestuelle et l’imitation motrice posent aussi problème, en lien avec les capacités d’imitation, avec le niveau moteur. On retrouve également des problèmes du contrôle postural.

Implicitement, même si cela ne fait pas partie des critères, le Professeur Da Fonseca « utilise » les symptômes qu’il peut identifier quand il observe le sujet entre la salle d’attente et son bureau : sa marche, ses balancements de bras, sa manière de lui serrer la main. Il observe le problème de balancement, de répartition du poids, la posture des chevilles. On retrouve des petites choses très subtiles, sans forcément que cela soit très spécifique non plus, ce qui rend effectivement complexe le repérage et les interprétations.

On retrouve donc souvent des retards psychomoteurs, des problèmes de motricité globale, de motricité fine, les troubles de la coordination de manière générale. Tout cela participe aux difficultés sociales.

On retrouve également beaucoup de troubles qui relèvent du TAC.

Finalement en quoi cela est-il spécifique dans l’autisme ?

Un article de 2012 fait le point sur la dyspraxie et le TDAH : beaucoup d’Asperger et de TDAH, ont une dyspraxie.

Lorsque l’on compare les deux populations, on remarque que les TSA et les TDAH se différencient peu sur les tâches motrices de base.

En revanche, quand on regarde les praxies, on voit beaucoup plus de difficultés chez les TSA par rapport au TDAH. On retrouve aussi plus de déficits pour les TSA de tout ce qui concerne les connaissances des postures avec les représentations spatiales des gestes.

Pour les dyspraxies, certains points sont différents, selon les différentes pathologies et les différents troubles neuro-développementaux. Ce ne sont sans doute pas les mêmes réseaux qui sont touchés.

Il existe d’autres travaux encore plus intéressants et on n’évoque plus de triade selon la DSM-5 mais une diade.

Les deux grands groupes de symptômes permettant de poser un diagnostic sont le trouble qualitatif des interactions sociales et la communication et intérêts et comportements restreints d’un autre côté. Quid des problèmes moteurs…

Selon les articles, on se rend compte que les troubles praxiques sont plus importants de manière significative.

Les auteurs de ces travaux soulignent finalement que les problèmes praxiques sont probablement des signes cardinaux de l’autisme au même titre  que le trouble des interactions sociales.

D’autre part, les troubles moteurs participent aussi au rejet de l’enfant, aux difficultés d’interaction au même titre que le décodage des émotions.

En conclusion, il n’est pas anormal de recevoir en consultation des enfants qui sont dyspraxiques, ce qui est dommage c’est de pas avoir pensé aux difficultés d’interactions sociales importantes qui méritent aussi une prise en charge spécifique associée pour l’aider à moins souffrir pendant les temps de récréation.

Il faut prendre en charge les DYS, mais ils ne doivent pas faire ignorer  les autres dimensions indispensables à prendre en charge dans leur globalité.

Ce n’est pas la pluridisciplinarité mais l’interdisciplinarité, malgré des manières de faire différentes, qui évite ce problème d’errance.

Merci à Carole Ruggieri, déléguée AAD Var, pour cz compte-rendu